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Le cancer de la vessie : diagnostic, évolutions et solutions

Pr Eric Lechevallier, chirurgien urologue à l’hôpital de la Conception, Marseille, APHM

Membre du Conseil d’administration de l’AFU

 

Le cancer de la vessie entraîne 5 000 décès par an. Cinquième cancer en fréquence, il est d’autant mieux pris en charge qu’il est détecté tôt. Le photodiagnostic permet d’optimiser le diagnostic et de limiter le risque de récidive. L’immunothérapie, actuellement en cours de validation, représente un grand espoir pour les tumeurs les plus agressives.

 

Qui est touché ?

12 000 personnes sont affectées chaque année. Il s’agit majoritairement d’hommes de plus de 60 ans. Cette prévalence masculine s’explique principalement par deux facteurs : le tabagisme et les toxiques professionnels (goudrons, solvants, colorants…). Néanmoins l’engouement des femmes pour la cigarette entraîne une augmentation de ces tumeurs dans la population féminine.

 

 

Quels sont les signes d’appel ?

Le principal c’est le sang dans les urines. L’hématurie peut être invisible à l’œil (microhématurie) et détectée par une bandelette urinaire ou au contraire entraîner une coloration des urines (macrohématurie). Ces signes ne sont pas spécifiques au cancer de la vessie : les calculs urinaires et les infections urinaires sont grandes pourvoyeuses d’hématuries.

Les problèmes mictionnels : envies fréquentes, urgenturies, brûlures urinaires, incapacité d’uriner… sont aussi un signe d’appel. Là encore ils ne sont pas spécifiques puisqu’ils peuvent aussi évoquer des cystites ou des troubles prostatiques.

Des douleurs dans le bas du ventre, ou d’autres signes plus alarmants (perte de poids, fatigue persistante, douleurs osseuses…) marquent la propagation du cancer de la vessie (métastases).

Tout signe urinaire (hématurie, troubles mictionnels) chez un fumeur ou une personne exposée à des toxiques professionnels doit amener à consulter l’urologue pour un bilan. Les examens viseront à déterminer s’il y a une tumeur vésicale (ou plusieurs) et le cas échéant déterminer sa localisation, son agressivité (vitesse d’évolution ou “grade”) et si la tumeur est restée superficielle (TVNIM) ou si elle infiltre le muscle (TVIM).

Quels examens réaliser ?

 

– La cytologie et les frottis urinaires permettent de matérialiser une éventuelle micro-hématurie (présence non détectable à l’œil nu de sang dans les urines). Elles visent aussi à révéler la présence de cellules cancéreuses et déterminer leur agressivité. L’examen est performant pour les tumeurs de haut grade mais peu pour les tumeurs de bas grade.

 

– L’imagerie est également utile (échographie vésicale ou scanner). 10 à 20 % des cancers de la vessie s’accompagnent de tumeurs du haut appareil (rein, uretères) que l’imagerie pourra mettre en évidence.

 

La cystoscopie (endoscopie de la vessie), réalisée sous anesthésie locale, est l’examen de référence. Elle permet de faire le diagnostic. Ensuite la tumeur est enlevée par endoscopie sous anesthésie générale ou rachi-anesthésie au bloc opératoire. On peut augmenter la sensibilité de l’examen en réalisant un photodiagnostic. Un des problèmes rencontré avec les tumeurs de la vessie réside dans le fait que ces cancers sont souvent multifocaux. Il peut donc y avoir coexistence de tumeurs planes et de tumeurs plus visibles, de tumeurs relativement peu agressives et de tumeurs agressives…  Pour ne pas passer à côté d’une de ces tumeurs on ajoute un produit photophore une heure avant l’examen. Le produit se fixe sur les cellules cancéreuses. L’urologue réalise ensuite l’endoscopie sous lumière bleue en fluorescence. Les cellules cancéreuses éclairées de la sorte renvoient une lumière rouge.

Avec  la cytoscopie en fluorescence, on peut identifier, prélever et traiter plus de  tumeurs explique le Pr Eric Lechevallier. Alors qu’en réalisant l’examen en lumière blanche on risque de laisser des petits polypes susceptibles d’exprimer une récidive.”

La technique du photodiagnostic existe depuis quelques années. Les grands centres la pratiquent. La plupart la réserve à certains patients (tumeurs de haut grade qui récidivent souvent). Quelques centres européens la proposent néanmoins à tous les patients.

 

– Des tests biologiques sont en cours de développement. Réalisés à partir de prélèvements urinaires ils font appel à la biologie moléculaire. Pour l’heure, leur coût demeure important pour un bénéfice modéré.

 

 

En attente de preuves…

 

Je suis un de ceux qui défendent le photodiagnostic. On a aujourd’hui pu montrer que l’endoscopie avec fluorescence est coût-efficiente car elle augmente le taux de détection de 10 à 20 % et réduit le risque de récidive. Or le cancer de la vessie est non seulement fréquent mais le coût du traitement  des tumeurs et des récidives est élevé. Il reste en revanche à prouver que cette technique réduit le taux de tumeurs infiltrantes. Des études sont en cours” explique le Pr Eric Lechevallier.

 

 

 

                                                                                                                         

 

Quelle évolution ?

 

70 % des diagnostics sont réalisés au stade non infiltrant (TVNIM). C’est-à-dire que la tumeur est encore superficielle (elle n’a pas pénétré le muscle). Superficielle ne veut pas dire pour autant bénigne.

3 situations se retrouvent  :

– La tumeur est unique, c’est un premier épisode isolé, de faible grade. Le risque de récidive est faible.

– La ou les tumeurs sont non infiltrantes mais à haut risque, très agressives. Elles récidivent fréquemment et peuvent évoluer vers un cancer infiltrant.

– Entre les deux extrêmes se trouvent les tumeurs intermédiaires.

 

Le traitement des tumeurs superficielles est variable selon le pronostic.  Si le risque est faible, une simple surveillance endoscopique peut suffire. Les deux autres groupes auront des instillations endovésicales. Du BCG pour les tumeurs à haut risque et de la mitomycine pour les tumeurs à risque intermédiaire. Le traitement réalisé à raison d’une instillation par semaine pendant 6 à 8 semaines, puis une instillation d’entretien tous les trois mois pendant 3 ans, réduit de 50 à 70 % le risque de récidive. Endoscopies et biopsies sont réalisées régulièrement. D’autant plus souvent que la tumeur est plus agressive.

 

 

Diagnostiquer tôt

Plus une tumeur est détectée tôt plus elle a de chances d’être maîtrisée. D’où l’importance de bénéficier de bons moyens diagnostics, comme le photodiagnostic. Pour les TVNIM, la survie à 5 ans est de l’ordre de 90 %.

 

 

30 % des cancers de la vessie sont diagnostiqués au stade où la tumeur est déjà infiltrante (TVIM). C’est un cancer de mauvais pronostic (survie à 10 ans estimée à 47%). Pour ces tumeurs, l’urologue n’a plus le choix de proposer un traitement conservateur, il doit pratiquer le plus souvent une cystectomie totale (ablation de la vessie et des annexes).

Chez l’homme on enlève habituellement la vessie, la prostate et parfois l’urètre ; chez la femme la vessie, l’utérus, l’urètre, les ovaires et une partie du vagin car ce sont des tissus qui ont la même origine embryologique et le même territoire de drainage” explique le Pr Lechevallier.

Pour certaines tumeurs infiltrantes mais de bon pronostic, il est possible de conserver la vessie, mais ce n’est pas le traitement standard. « Les protocoles thérapeutiques actuels conservant la vessie,  utilisant notamment la radiothérapie, sont  limités à des cas favorables bien sélectionnés de TVIM », ajoute le spécialiste.

Il est possible de reconstruire une vessie à partir de segments de l’intestin (grêle ou côlon). De nombreuses techniques existent. L’intervention est en général proposée aux patients jeunes. Ces vessies artificielles sont de simples réservoirs qui n’ont pas la contractilité d’une vessie normale. Un certain nombre de patients risque donc de devoir se sonder malgré tout à long terme.

Chez la femme, l’urètre est le plus souvent ôté. On ne peut donc pas reconstruire de vessie (sauf si la chirurgie a été conservatrice). L’urologue réalise une stomie urinaire cutanée, avec ou sans poche.

Il existe aujourd’hui un débat pour ajouter à cette prise en charge une chimiothérapie neoadjuvante. Cette chimiothérapie augmente de 5 % la survie à 5 ans.

 

Et demain ?

 

Aujourd’hui nous avons à peu près le contrôle local de la maladie grâce à la chirurgie et la radiothérapie. Nous gérons en revanche moins bien les risques de récidives des tumeurs infiltrantes et les métastases. L’identification récente de facteurs tissulaires moléculaires permettant de reconnaître les tumeurs chimiosensibles est très prometteuse.” Ces marqueurs permettraient d’éviter d’utiliser la chimiothérapie et de provoquer des effets secondaires chez les patients qui n’y sont pas sensibles et en même temps de mieux utiliser la chimiothérapie chez ceux qui sont répondeurs.

Une seconde piste très prometteuse : l’immunothérapie. Les cancers savent se rendre furtifs au système immunitaire. C’est en partie dû à des mécanismes d’inhibition des lymphocytes T. Le principe de l’immunothérapie consiste à “réveiller” le système immunitaire afin qu’il s’attaque au cancer. De nouvelles générations d’inhibiteurs de check-point, permettent de lever l’immunosuppression provoquée par les tumeurs. Deux anticorps en particulier sont très prometteurs pour les formes résistantes aux chimiothérapies et les formes métastatiques, les anti-PD1/PDL1 et CTLA4.

On fonde beaucoup d’espoir sur ces deux nouvelles approches,” confie le Pr Lechevallier. Par exemple, celui de faire des protocoles où l’on pourra se passer de chirurgie agressive. Compte tenu des effets secondaires de cette chirurgie très mutilante, ce serait un progrès majeur.

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